19 juin 2010

La coupe du monde que j’ai jouée

La seule coupe du monde que j’ai jouée, en tant que joueur, c’est celle de 94. En 82, je n’avais que huit ans, trop petit. En 86, douze, pareil, je n’avais pas de maillot célèbre, ni crampons ni muscles. En 90, je l’ai déjà raconté, j’étais malade. Comme Di Stefano, le plus grand joueur de tous les temps qui n’a jamais joué de coupe du monde, ni avec l’Argentine, son pays natal, ni avec l’Espagne, son pays d’adoption. En 98, je travaillais. En 2002 aussi. En 2006, j’étais spectateur et, à 32 ans, ma carrière de footballeur était presque finie. Alors oui, la seule coupe du monde que j’ai jouée, c’est celle de 94. Vingt ans, la fleur de l’âge. Sur le parc derrière la résidence universitaire Triolo, à Villeneuve-d’Ascq, la banlieue universitaire de Lille, les équipes prenaient place avant et après les matchs du mondial américain. Les Camerounais étaient remontés comme des pendules, première équipe africaine à aller jusqu’en quarts en 90, deuxième qualification d’affilée en 94, cette fois il fallait jouer le Brésil. Bref, il fallait faire un beau mondial et j’étais sur le terrain avec des Roger Milla, Omam-Biyik, Marc-Vivien Foé. La gifle 6-1 face à la Russie n’y changeait rien, sur notre terrain tous les Africains étaient des joueurs Camerounais, sauf un à qui l’on criait « Amokachi, Amokachi, fait la passe ! », du nom de l’attaquant nigérian. Les Marocains, eux, étaient là aussi. Les Mohammed et autres Khaled de la résidence devenaient des Chaouch, El Hadaoui, Daoudi, Hadji. Les Algériens, eux, étaient invariablement des Madjer. Moi, j’étais Maradona, Valderrama, Batistuta. Pablo ? Non, Balbo, Abel Balbo, Asprilla quand j’attaquais, Redondo quand je défendais, en sentinelle du milieu devant la défense à quatre. Pourquoi les Argentins et Colombiens ? Parce que, dans ma ville, Ciudad Guayana, j’ai eu deux ans durant (89-91, première et terminale) comme voisins, une équipe pro : Minervén. Durant deux saisons, je suis allé au stade dans le bus de l’équipe, deux heures avant les matchs. J’ai donc appris le foot aussi avec ces joueurs, dont plusieurs colombiens et argentins, et l’entraineur Raul Cavalieri, argentin aussi, ou encore d’excellents joueurs vénézuéliens, comme le grand gardien Gilberto Angelucci. La concentration, boire le maté la veille de match en écoutant des anecdotes de Medellin ou Cordoba, le vestiaire où il ne fallait déjà pas se laisser passer un ballon entre les jambes, ça porte malheur. Trois ans plus tard, j’appliquais tout ça sur le terrain. Dribbles, talonnades, coups de tête, buts. Rien de plus excitant que dribbler dans tous les sens ces Mauritaniens qui jouaient si mal, comme les Saoudiens en Coupe du Monde. Un petit pont à l’aller, un autre au retour. Olé, olé. Jusqu’à ce qu’il se vexa et me balance un énorme coup de coude. Par terre, mâchoire cassée, je saigne. L’arbitre n’a rien vu. Il n’y avait pas d’arbitre d’ailleurs. Expulsés, tous, le match est fini. Tant pis. Je suis parti, comme Maradona, par la petite porte. Lui pour dopage, moi sur blessure.

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